Pisa ou pas?
J’aurais pu (du?) faire un article sur le rôle de l’échographie pulmonaire dans l’atteinte par le COVID-19 mais plusieurs éléments m’ont retenus. Les recommandations ASE sur l’échographie cardiaque dans le cadre de la pandémie sont claires : faire des échographies à ces patients n’est peut-être pas utile, et probablement dangereux, du fait du risque de contagion pris par le technicien et le cardiologue (qui sont, nous concernant en France, la même personne), mais aussi le personnels paramédical, brancardiers etc…
La valeur diagnostique est moindre que celle du scanner (pour les structures où ce dernier est largement disponible), et la surveillance est moins pertinente que celle du saturomètre!
Je vous propose donc plutôt une réflexion sur la quantification de l’insuffisance mitrale.
Les dernières recommandations de l’EACVI sur les valvulopathies datent de 2017. L’approche quantitative repose sur le Doppler couleur, avec des calculs issus de la mesure de la PISA etc… Pourtant de nombreuses situations posent encore problème, à commencer par l’IM « secondaire » et les IM « primitives » avec plusieurs jets, parfois excentrés, ou non holosystoliques. (La pertinence de cette distinction primitives/secondaires reste à mon humble avis à prouver…)
Le Doppler couleur c’est bien, mais les machines ont évolué, et il est peut-être temps de passer à autre chose?
Nos collègues radiologues ont publié en 12/2019 un consensus sur l’analyse de l’insuffisance mitrale en IRM. Ils utilisent des outils différents des nôtres, basés essentiellement sur les points forts de l’IRM : la mesure des volumes et le 4Dflow. On obtient ainsi assez facilement une fraction de régurgitation en comparant le volume d’éjection systolique attendu (VTD-VTS) et le volume d’éjection réellement mesuré en contraste de phase 2d, ou encore mieux en 4D flow. Cette mesure peut être confrontée à la mesure d’un rapport du débit systémique/ débit aortique (Qp/Qs) par 4Dflow. Une IM est considérée comme sévère si la fraction de régurgitation est supérieure à 40% et très sévère si FR supérieure à 50%.
Cette approche a été transposée à l’échographie 3d en utilisant le « heartmodel » de Philips dans un bel article publié en 2018 dans ACVD portant sur 53 patients avec des insuffisances mitrales primitives isolées. La fraction de régurgitation est obtenue par la méthode PISA, puis par une comparaison entre le volume d’éjection aortique obtenu par ETT3d à celui obtenu par la méthode doppler (ITV sous aortique*surface CCVG). La corrélation entre IRM et écho est meilleur avec l’ETT 3D qu’avec la méthode PISA. (Le volume régurgitant semble surestimé par la méthode PISA).
Voyons comment ça se passe. Un patient est adressé pour évaluation d’une IM sur prolapsus de A2, avec un VG et une OG dilatée. La FEVG est normale à 70% avec un strain longitudinal global à -20%. Le volume télédiastolique est à 154 ml, soit 90ml/m², (le DTDVG à 65 mm soit un DTDi à 37 mm/m²).
_00045 from fish Nip echocardiographie on Vimeo.
Le volume d’éjection aortique « attendu » est de 110 ml (154ml de VolTD – 44 ml de VTS). Le volume d’éjection aortique obtenu par méthode Doppler est 47 ml. Le volume régurgité est donc de 63 ml, et La fraction de régurgitation est donc évaluée à 63/110 soit 57%.
Le rapport du débit pulmonaire/débit aortique est calculé à 1.95, (débit pulmonaire à 7.3 l/min, QAo à 3.2 l/mn) ce qui va dans le même sens. Pour ce même patient, on retrouve une surestimation du volume régurgité par la méthode de la PISA avec un volume régurgité à 90 ml est une fraction de régurgitation à 65%.
Cette approche (si elle était validée en ETT) viendrait en complément de l’analyse multiparamétrique habituelle mais prendrait tout son sens dans les jets multiples, les prolapsus complexes, et les fuites non holosystoliques. Les limites, (outre la validation nécessaire, si on reste tous d’accord sur l’idée de valider des trucs…), sont la nécessité d’une insuffisance mitrale isolée, et d’une échogénicité satisfaisante. Pour finir, les résultats de cette fraction de régurgitation me semblent beaucoup plus cohérents que ceux obtenus en calculant le volume d’éjection mitrale)
Sur ce, je retourne à mes COVID, je vous souhaite à tous bon courage et à bientôt !
Sur le principe, je suis tout à fait d’accord, et j’ai toujours tendance à comparer depuis quelques années les résultats obtenus par cette différence des volumes d’éjection. L’analyse 3D du VES, avec sa meilleure précision, la rend d’autant plus fiable.
L’analyse en comparant avec le débit droit, si elle est séduisante, bute toujours sur les difficultés d’estimation du débit droit (avec une CCVD encore plus ovale que la CCVG). Soit dit en passant, ici ton Qp/Qs est à 7.3/3.2=2.28, ce qui colle plus avec les 65% de fraction de régurgitation de la PISA qu’avec les 45% de la différence de VES…
Petite réserve, on rappelle que cela n’est pas applicable en cas d’IA associée bien entendu…
Et merci de continuer ce blog, que je trouve toujours aussi intéressant et pertinent!
Bon Covid (on est tous dans le même bain…) !
Merci à toi de le lire encore!
Tout a fait d’accord avec tes réserves.
Je trouve que malgré ses nombreuses imperfections, le rapport Qp/Qs n’est pas un si mauvais indice, et que les résultats sont souvent assez cohérents. J’utilise volontiers le Xplan pour mesurer l’anneau pulmonaire (parasternale grand axe becquée vers le haut ou sous costale petit axe) et je prends une moyenne des mesures.
Encore un truc pas validé 😉
Désolé mais je suis un peu perdu….
Pour moi en l absence de shunt droit/gauche et d IAo les rapports QP/QS calculés en Doppler doivent être de 1…
Le volume régurgité par l IM ne « repasse» pas dans la circulation droite?
Si le calcul du « débit VG » se fait sur les volumes alors on devrait
avoir un rapport proche de 2 mais en faveur du Débit VG…
Quelqu’un pour m éclaircir??
Sinon merci à nouveau pour la qualité du blog et bon courage à tous…
Merci pour vos encouragement!
Le rapport Qp/Qs est à considérer comme une méthode « d’appoint », qui permet de vérifier grossièrement les resultats obtenus par la méthode des volumes 3D.
Exprimé en rapport de débit, il s’agit en fait plutôt d’un rapport de volume d’éjection pulmonaire sur aortique. Le volume d’éjection pulmonaire fait alors « référence » (contrairement à la CIA ou il artificiellement élevé), c’est le débit aortique qui est « amputé » du volume régurgité.
De même pour l’insuffisance aortique, le VES Aortique est très supérieur au VES Pulmonaire. Cette méthode est assez fiable en IRM 4Dflow, mais non validée (à ma connaissance) en ETT du fait des difficultés de mesures des volumes droit en échocardiographie (que ce soir par écho 2 ou 3d, ou par Doppler avec mesure de la CCVD).
Bonsoir !
D’accord avec vous. Pour moi, même si IM sévère, en l’absence de shunt, débit aortique/débit pulmonaire = 1. J’ai beau réfléchir et chercher sur le net, je ne comprends pas le raisonnement. Le débit gauche et droit doit être le même,…
Bonjour,
ne confond-t-on pas mesure du Qp/Qs par doppler versus volumes 3D?
Car en effet les débits aortiques et pulmonaires doivent être semblables par méthode traditionnelle (doppler) même si IM importante. En l’absence d’IAO, IP, CIA etc bien évidemment.
Par contre, si analyse des volumes diastoliques et systoliques en 3D, il me semble logique d’avoir une différence nette si IM importante.
Et oui, je confirme: même si je n’y passe pas assez de temps, j’adore ce blog…
Merci!
Oui, c’est tout à fait ça, il s’agit bien de confronter les volumes d’éjection 3D et les volumes « effectifs » calculés en Doppler, pour en déduire un volume régurgité et une fraction de régurgitation de l’insuffisance mitrale, indépendant de la méthode de la PISA. Ça pourrait prendre tout son sens dan l’évaluation des IM secondaires, pour lesquelles la méthode PISA est discutable, alors que l’évaluation des volumes VG en 3d est assez fiable (gros volumes, FE altérée…).
Ci dessous un lien vers un très chouette article de cet été sur la quantification des IM secondaires et la dérive des méthodes de quantification :
https://link.springer.com/article/10.1007/s10554-020-01975-6